Togo : La Honte N’a plus à Se Cacher
Moise Mougnan
Le but premier d’un régime illégitime est de s’employer à se rendre acceptable à défaut de se faire encenser. Le régime togolais issu d’un scrutin biaisé d’avance n’avait pas échappé à cette quête absolue de reconnaissance chère aux desperados. C’est ainsi que Bébé Eyadema, président autoproclamé d’une république rendue clanique après la mort le 5 février de son dictateur de père Ernest Ngangsibé Eyadema, s’exerce à édifier sa diplomatie. Sur le plan international, la tâche a été rendue plus que facile par l’indifférence quasi unanime de l’opinion internationale sur le drame du peuple togolais. Une prise de pouvoir pourtant anticonstitutionnelle effectuée par les rejetons du dictateur sitôt le décès annoncé n’a soulevé des condamnations que du bout de lèvres par une opinion internationale qui se dit pourtant démocrate. Jacques Chirac, le premier des Français, a eu le mérite au moins d’afficher sa franchise à la mort du despote, en qui il reconnaît volontiers un grand ami personnel (de plus de 30 ans) et un grand ami de la France, pour ne pas dire un suppôt de l’Élysée. La Francafrique maffieuse dans l’âme se soude toujours les coudes. Ce n’était donc pas étonnant qu’il fût parmi les premiers avec ses affidés locaux à soutenir sans vergogne Bébé Eyadema. Georges Bush, embourbé encore davantage en Irak et en Afghanistan, n’a que cure du Togo. La communauté européenne influencée par la France est restée passive, malgré la condamnation le 13 mai par contre courageuse de son parlement (56 voix pour ,4 contre, 3 abstentions) qui ne reconnaît pas le nouveau régime.
Sur le plan national, la honte n’avait plus à se cacher. Une cour constitutionnelle devenue anticonstitutionnelle ,se dérogeant ainsi de sa mission première qui était d’être la garante de la… constitution, s’est rangée derrière l’illégalité en soutenant d’abord le coup d’État du 5 février puis en confirmant le 3 mai la victoire usurpée du rejeton du despote . En effet, deux jours après la mort du Caligula togolais, les sept juges de cette haute cour ne se sont pas gênés pour investir en violation de la constitution son fils Faure Eyadema, appelé communément par ses compatriotes Bébé Eyadema (ou Bébé Eya) en référence à un autre célèbre bébé originaire des Antilles : Bébé Doc ou Jean-Claude Duvalier ( 22 avril 1971-7 février 1986 ), fils de Papa Doc ou François Duvalier l’haïtien ( 22 octobre 1957-21 avril 1971), le fondateur des Tontons Macoutes qui a semé horreur et terreur dans son pays, l’une des plus belles îles du monde,et qui a légué le pays à son fils. Cette haute cour a battu tous les records Guinness du ridicule en laissant Charles Debbasch (ancien doyen de la faculté de droit d’Aix-en -Provence) un mercenaire juridique français notoirement connu (qui a des démêlés avec la justice de son propre pays) venir chatouiller et tripatouiller à sa guise la constitution togolaise en un banal outil de cautionnement d’une passation de pouvoir rendue génétique. Cette cour a perdu toute crédibilité et ses membres ont fait honte à leur profession. L’opposition intérieure était désarmée et désemparée face à un système dictatorial qui règne sans partage depuis trente-huit ans. Malgré ses faiblesses, elle a pu faire ce qu’elle pouvait faire, comptant sur une écoute attentive de l’opinion internationale qui, hélas, comme dans ses bonnes habitudes, est devenue sourde. Par contre, sa courroie de transmission extérieure n’a pas su se mobiliser à temps pour faire échec à la perpétuation d’un régime qui a pris pendant des décennies tout un peuple en otage. Le peuple togolais s’était retrouvé une fois de plus seul face aux meutes et aux hordes des escadrons de la mort à la solde du régime et d’une armée qui, au lieu de défendre son peuple, s’est plutôt retournée contre lui. Les images des violences du 24 avril donnent le haut le cœur. Les militaires saccageant les bureaux de vote, volant les urnes et tabassant les électeurs ont fait le tour du monde sans que les supposées grandes démocraties n’aient pu réagir. Le Togo, il est vrai, n’est pas l’Irak. Les démocraties occidentales, on le sait, ne sont pas allergiques aux odeurs du pétrole et à l’éclat des diamants. Le Togo n’a que son peuple, qui n’est pas coté à Wall Street.
Investi par la même cour qui l’avait déjà béatifié le 7 février (la première investiture fast food après le coup d’État du 5 février), Bébé Faure n’a pas hésité à faire appel à deux leaders de l’opposition après sa victoire frauduleuse pour redorer son image. Mais, hélas, ces deux leaders ne sont que l’ombre d’eux-mêmes. Le premier est un habitué des arcanes de la vie politique togolaise, mais c’est surtout un intime du régime. En effet, ce brillant intellectuel est l’un des meilleurs produits fabriqués par Eyadema. Membre fondateur du parti du dictateur le RPT (le Rassemblement du peuple togolais) dont il fut le secrétaire général, monsieur Edem Kodjo a été tour à tour ministre de l’économie et des Finances, ministre des Affaires étrangères, secrétaire général de l’organisation de l’unité africaine (devenue aujourd’hui l’Union Africaine), puis premier ministre. Fidèle parmi les fidèles du matamore togolais, il fait partie de ceux qu’on appelle en Afrique l’opposition alimentaire dont le ventre est toujours disponible au buffet le plus raffiné, qu’importe l’indigestion qui s’en suivra. Photocopie du RPT, son parti La Convergence patriotique panafricaine servait de paravent au régime. Intelligent et rusé comme un caméléon, mais surtout comme le personnage de Leuk, le lièvre dans les contes de Senghor et d’Abdoulaye Sadji. Edem Kodjo, malgré ses 1 % lors des dernières élections organisées par le dictateur de son vivant, est un homme qui sait rebondir dans le paysage politique togolais, mais, hélas, toujours du mauvais bord. Il n’était donc pas étonnant de voir que c’est à l’ancien vizir de son père, que le « dictatorion » a fait naturellement appel pour diriger un supposé gouvernement d’union nationale, afin de montrer son ouverture politique qui au fond n’est que cosmétique. Le second acteur n’est pas des moindres. Joseph Koffigoh est un homme qui étonne et qui surprend à la fois : étonnant par son acceptation de présider une Commission nationale d’enquête sur les violences postélectorales et surprenant de voir surtout un Koffigoh, hier victime du régime, vouloir aujourd’hui servir de caution morale à une commission amorale. L’homme a été porté à la primature en 1991 par la conférence nationale qui l’a préféré à plusieurs grands ténors de l’opposition. Convaincu de sa légitimité, il a voulu remettre de l’ordre dans les affaires de l’État en état de déliquescence ; mais, hélas, c’était mal connaître le moloch maintenu en poste par un compromis… compromettant. Le régime ne tolérant pas de ne pas être toléré dans ses gabegies a fait attaquer la primature où le premier ministre l’a échappé belle. Terrorisé et traumatisé depuis lors, Koffigoh a fini par s’acoquiner au régime, question de survie bien entendu. Les convictions n’ont pas assez longtemps tenu face aux menaces et aux propositions alléchantes. Le héros de la conférence nationale est devenu le héron messager de Lomé 2 (le Palais national). Il fut nommé ministre des affaires étrangères (1998-2000), puis ministre de l’Intégration régionale (2000-2002), une récompense pour une fidélité nouvellement acquise dans la cour du dictateur qui il est vrai, sait reconnaître les siens. Comment Koffigoh pouvait-il adhérer, à moins d’être frappé d’amnésie, à la logique machiavélique du « dictatorion » qui, après avoir été pyromane, veut jouer maintenant au pompier. Mais, comment pouvons-nous nous étonner quand on sait que, dans les jeux des coulisses des régimes totalitaires, il reste toujours en suspens des cartes maîtresses qui, comme des jokers, sont souvent ressorties de l’ombre pour mieux faire diversion, afin d’avoir le dessus sur l’adversaire.
Edem Kodjo et Joseph Koffigoh : deux noms parmi tant d’autres, qui incarnent l’assujettissement et l’abâtardissement. Deux noms qui expriment la démission face au drame de tout un peuple. Mais, dans cette malsaine écurie, un homme heureusement s’est distingué : François Boko. Ancien ministre de l’Intérieur − donc premier responsable de l’organisation des élections du 24 avril qui a vu les irrégularités, les manquements et l’impossibilité d’organiser en bonne et due forme les élections, a convoqué les chancelleries et les organismes accrédités pour leur faire savoir ce qui était déjà su d’avance par tous : l’impossibilité d’organiser les élections dans les délais requis (60 jours). Cet homme nourri aux mêmes mamelles que Bébé Eya est sorti la tête haute malgré son triste passé d’un système qui fait honte à toute l’Afrique. Il a alerté tant les autorités dont il fait partie que les organisations internationales sur la supercherie électorale. Nul mieux que lui ne pouvait être aussi limpide. Le régime ne l’entendait pas de cette manière. Menacé de mort, il a pour protéger sa vie et celle de sa famille, trouvé refuge à l’ambassade d’Allemagne. Pour avoir accueilli l’ancien ministre de l’Intérieur, les allemands ont goûté à la médecine locale, la seule que le clan Eyadema pratique avec merveille. Les locaux du centre culturel allemand ont été saccagés, les ressortissants allemands au Togo menacés. L’Allemagne était l’un des rares pays à manifester de sérieuses réserves sur ses mascarades électorales. Ce qui n’était pas le cas de l’Union africaine qui était plus que décevante dans le dossier togolais. Les chefs d’État africains élus ou non élus se sont abstenus comme dans leurs bonnes vieilles habitudes. Plus grave encore, certains comme le Nigérian Olusegun Obansanjo sont devenus les défenseurs de Bébé Eya. Le peuple togolais est abandonné à son triste sort, délaissé par tous ceux qui crient partout qu’ils sont les défenseurs de la justice, de la démocratie et des droits de l’homme. Le Togo se vide petit à petit au bénéfice d’une gangrène qui contamine tout le pays. Les pays voisins ne cessent d’accueillir de plus en plus de réfugiés. Les prisons se remplissent comme au bon vieux temps du bon vieux général. Les Togolais qui croyaient que la mort du dictateur qui dirigeait le pays d’une main de fer pendant trente-huit ans allait leur apporter un souffle de liberté ont vite déchanté. Le premier gouvernement de l’ère post-Eyadema rendu public le 20 juin, vient contredire tout ceux qui voulaient croire que le fils était différent du père. Tous ces avocats de dimanche, qui comme le président du Nigeria, qui assume aussi la présidence de l’Union Africaine ont imposé Bébé Eya aux togolais, doivent maintenant se sentir ridiculiser par ce gouvernement qui a tout sauf quelque chose de national. Un gouvernement ou le ministère de la défense revient tout naturellement à un autre rejeton d’Eyadema. En effet Kpatcha, l’un des ``Eyade-momes``qui était le patron de la zone franche de Lomé (Sazof), transformée en vache à lait du dictateur, est désormais le patron de la défense au détriment des officiers ,qui ont soutenu le coup d’État du 5 février. Déjà dans les casernes, on susurre sur ce poste qui dit-on devrait revenir à l’un des leurs .C’est déjà mauvais signe .Le dictateur a accouché du ``dictatorion``. Après sa mort, le dictatorion a vite appris à devenir un dictateur, une transition génétique et congénitale parfaitement réussie qui s’est faite sur le dos de tout un peuple.
Les démocrates doivent se mobiliser pour dénoncer ce qui se passe au Togo. Le pays est devenu, comme il l’a d’ailleurs toujours été une ``Pyapublique`` (Pya est le village du dictateur) ou le seul critère pour le diriger est désormais l’appartenance familiale. Au Canada un démocrate togolais se bat tout seul pour faire entendre la voix de son peuple meurtri : Blaise Koffi Kponoume. Son combat est un admirable acte de patriotisme, malgré le peu de soutien qu’il reçoit . Le Togo son pays, est hélas mal parti au vu et au su de tous. Le discours sur la démocratie a des beaux jours devant lui. La dictature aussi !
La honte, telle une pieuvre dont les tentacules enculent on dirait tout le monde, n’a plus besoin désormais de se cacher. Elle peut être elle aussi transparente comme la souffrance du peuple togolais qui n’interpelle hélas personne.
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